De la nécessité de la « maarifa » en Algérie

Article : De la nécessité de la « maarifa » en Algérie
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11 juin 2014

De la nécessité de la « maarifa » en Algérie

"Tu as une connaissance?"
« Tu as une connaissance ? »

En Algérie, il existe deux croyances appliquées à la lettre par les habitants. Il y a l’Islam bien entendu, mais aussi et surtout la « maarifa », peut être plus importante que la religion musulmane dont le pays se réclame.

Cette dernière étant déjà religion d’Etat, la « maarifa » serait donc une devise d’Etat, une sorte de « In maarifa we trust ».

Voilà que je viens de citer ce mot trois fois sans l’avoir clairement défini. Il ne s’agit pas d’une religion alternative de type vaudou ou autre, même si la pratique est devenue rituelle en Algérie. La maarifa, c’est « la connaissance », celle qui s’associe au piston, et qui vous ouvrira les portes de différents paradis, plus ou moins luxueux. Cette maarifa s’étend depuis des décennies sur tous les secteurs possibles et imaginables. De l’entreprise pétrolière à la quincaillerie du coin. Elle peut s’avérer nécessaire à la Daira* quand vous souhaitez accélérer une demande de passeport, à l’hôpital si vous voulez passer avant une centaine de personnes pour un scanner ou encore pour vous faire embaucher à un poste confortable dans une entreprise.

Nécessaire, que dis-je , elle est indispensable !

La maarifa ne connaît aucune limite, elle ne fait aucune distinction entre les âges, les sexes ou les niveaux sociaux. Tout le monde en a au moins une mais ne l’a jamais touché de près. Elle apparaît généralement au cours d’une conversation entre individus entamée par une phrase type: « Mon cousin travaille dans cette entreprise et il connait bien le patron, je vais lui filer ton numéro » .

Bien entendu, la maarifa n’est jamais gratuite, et même si elle est la sœur jumelle cachée de la corruption, elle ne se monnaye pas forcément. Parlons plutôt d’un troc ou d’un échange de bons procédés. Mon père, médecin, en est l’exemple parfait et sait depuis de nombreuses années manier l’art d’échanger les services, au profit d’un carnet de contacts bien rempli . « Appelle Mr…….. de ma part, dis lui que j’avais passé une radio à sa femme il y a quelques mois ». Et je peux vous le dire, s’il s’avère un jour que la maarifa est un péché, je me réserve une chaleureuse place en Enfer.

S’il est très facile de connaître quelqu’un qui connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un qui peut vous rendre un service, il est plus compliqué de s’établir un réseau solide et durable au point de juste connaitre quelqu’un.

A vos calculatrices !

La maarifa peut se définir comme une fonction exponentielle faisant intervenir la qualité du service et la valeur intrinsèque de celui qui vous le propose, moyennant une variable, celle des intérêts émis par l’intermédiaire (celui qui connait quelqu’un qui connait quelqu’un …) .

A vos calculatrices ! Considérons qu’un certain Mohammed, chômeur diplômé, en recherche d’emploi, connaît Mahmoud qui connait Brahim, cadre dans une grande entreprise d’agro-alimentaire. Mahmoud, qui a déjà rendu un service X à Brahim, lui demande d’employer Mohammed. Quels seront les intérêts perçus par Mahmoud?

Je vous donne la réponse, ne pouvant subvenir à vos demandes de récompenses . Quand Ibrahim sera embauché, celui-ci devra dans un futur proche ou lointain, embaucher la fille ou le fils de Mahmoud, ou une autre connaissance proche de ce dernier.

C’est mathématiquement prouvé, la maarifa est un secteur socio-économique à part entière. Même s’il est du stade de l’informel, les disciples de cette secte ne se comptent même plus, tant il a été massivement accepté et démocratisé. Tant pis pour la justice ou l’équité, si vous souhaitez passer au travers, vous ne ramasserez que les moqueries de ses initiés.

Aprés les calculs, passons maintenant à la solution de notre problème. En définitive et selon le théorème algéro-mafieux, la maarifa est une fonction exponentielle dont le résultat est la réussite, résultat qui s’oppose à celui de la méritocratie.

*Daira : préfecture

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