A la télévision algérienne on parle de politique, mais pas du pouvoir

Article : A la télévision algérienne on parle de politique, mais pas du pouvoir
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27 avril 2015

A la télévision algérienne on parle de politique, mais pas du pouvoir

Chroniqueurs de l'émission Al Djazairia Weekend
Chroniqueurs de l’émission Al Djazairia Weekend

Les réformes  » démocratiques  » engagées par les gouvernements successifs se sont parfois transformées en cadeaux empoisonnés tant pour le pouvoir que pour le peuple. Lorsque le président Chadli a voulu ouvrir l’Algérie au multipartisme, elle a connu le FIS (Front islamique du salut) et la décennie noire. En 2011, le gouvernement a décidé de privatiser partiellement le secteur télévisuel. Trois ans plus tard, la chaîne  » Atlas TV  » a été mystérieusement retirée de nos listes de chaînes, et aujourd’hui, une émission satirique  » El Djazairia Weekend  » a été arrêtée, à la « surprise » de ses animateurs comme de son public,après  » des pressions insoutenables » .

Il faut dire qu’avant l’apparition des chaînes privées, l’audimat algérien n’avait pas vraiment la possibilité de regarder des débats politiques puisque la seule place que les chaînes publiques réservent à la politique, c’est dans le JT (lorsqu’il s’agit de parler de la visite d’untel ou la déclaration d’un autre) et au moment de la présidentielle (séquences agrémentées de clips de chansons patriotiques tournés dans les années 70).

Encore pouvons- nous compter une émission telle que  » Houna el Djazair  » (ici l’Algérie) qui organise de manière hebdomadaire des confrontations politiques entre politiciens, membres de partis, activistes et journalistes. Bien entendu, il est rare de voir un ministre en fonction si ce n’est les cadres les plus stupides du FLN à l’exemple de Akila Rabhi, députée FLN qui ne s’est jamais cachée de son passé de coiffeuse-esthéticienne… peut- être sera-t-elle la digne héritière de Leila Trabelsi. Cette députée avait fait parler d’elle puisqu’elle est devenue la porte-parole de l’augmentation des salaires des parlementaires avec un salaire déjà fixé (officiellement) à 300 000 dinars soit un peu moins de 3 000 euros, et croyez-moi, en Algérie, c’est un très bon salaire. Mais la dame a justifié le besoin d’augmenter les salaires du fait qu’elle perdait 30 000 dinars en forfait téléphonique, parce que ses contacts  » ne faisaient que la bipper « . Elle n’a qu’à demander à son parti la prise en charge de son forfait si onéreux plutôt que de grignoter sur l’argent du contribuable qui à ce rythme, ne pourra ni appeler, ni  » bipper « .

Après l’arrêt de l’émission  » El Djazairia Weekend  » il ne nous reste donc plus qu’à écouter les dialogues sans fin et sans fond de certains caciques du régime. Pour information, l’émission récemment arrêtée était, de par son caractère satirique, un lieu d’expression qui  » irritait  » le pouvoir. Mais chez nous, le pouvoir réplique sévèrement dès les premières irritations, un peu comme la blague d’Abdelmalek Sellal, notre premier ministre qui pratique la satire d’une autre manière  » Les moustiques du printemps arabe ont voulu venir en Algérie, nous leur avons mis du Moubyd !  » (Spray anti-insectes).

Mais si le pouvoir a semblé garder le silence sur ses premières irritations, il a sévèrement réagi dès les débuts de l’éruption cutanée. Cette éruption cutanée ou volcanique pour certains de nos ministres a débuté avec la sortie du livre Paris-Alger : une histoire passionnelle  dans lequel les deux auteurs ont dévoilé de nombreuses informations quant aux avoirs français et non moins modestes de nombreux ministres en exercice ou non, et d’autres représentants politiques comme Amar Saidani, chef de file du FLN. Vous savez, l’ancien joueur de tambour qui est devenu chef du parti majoritaire… Te prends pas la tête Bourdieu, chez nous l’ascension ça commence au plus bas !

Vous ne serez pas étonné de savoir que ce livre est le  » 50 Nuances de Grey  » qui tourne en masse dans le pays, entre les proches qui les ramènent de France (soigneusement emballé dans du papier journal) ou d’autres qui ont pu le mettre en ligne afin de le rendre accessible à tous. Mais certains sont déjà déçus du contenu, alors qu’ils attendaient des éléments  » choc  » … peut être la fameuse réponse à la question  » Est-ce que Bouteflika est vraiment célibataire ? Et sinon, il est gay ?  » Mais ce n’est pas le thème du sujet, puisque le dernier à avoir abordé cette question a pu quelques années publier un livre-témoignage intitulé  Les geôles d’Alger. Autant vous dire qu’on ne badine pas avec les amours du président. On ne badine pas non plus avec les propriétés immobilières des ministres qui possèdent ainsi des résidences dans les quartiers chics parisiens des Champs Elysées au 5e arrondissement et qui ciblent des personnalités comme la fille du premier ministre, le ministre des Energies et des Mines ou encore l’ancien ministre aux Moudjahidines (ministère du 3e âge et des paiements de pensions si vous préférez) qui, avant une visite officielle de Nicolas Sarkozy avait appelé à boycotter la France… Ce même possède un appartement à Lyon, ainsi que, excusez du peu, une carte de résidence. Ce même personnage critique avec véhémence les harkis qui ont trahi le pays…

Mais au fond, qui trahit vraiment l’Algérie ?

Parmi les pressions politiques subies par l’équipe de cette émission, les appels personnels de certains ministres furieux que l’on dévoile un faste dont les citoyens sont en droit de demander la provenance financière. Encore plus furieux qu’on mette à nu l’illégalité dans laquelle ils sont, puisqu’il est interdit d’acheter des biens à l’étranger alors que les revenus proviennent d’Algérie . Ces mêmes, qui appellent les expatriés à rentrer au pays, aux Algériens à consommer local, ou à se serrer la ceinture suite à la chute des prix du pétrole.

Cette victoire temporaire du pouvoir sur la liberté d’expression quoique, encadrée par la bienveillance étatique, ne fait qu’alourdir le climat ambiant.

Le plan du ministre de la Communication Ahmed Grine commence peut-être à prendre forme, lui qui rêvait d’un  » journalisme sans cholestérol  » (oui, il a vraiment dit ça) , c’est-à- dire un journalisme neutre, mais qui ne critique pas le pouvoir. Les chroniqueurs d’El Djazairia Weekend ont préféré stopper l’émission plutôt que d’en revoir le contenu afin qu’il soit plus favorable au pouvoir.

Si Ahmed Grine connaît le peuple algérien, à moins qu’il n’ait lui aussi une carte de résidence française, il devrait savoir que l’Algérien, sans cholestérol, ce n’est pas viable.

 

 

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