Lina Trabelsi

A la télévision algérienne on parle de politique, mais pas du pouvoir

Chroniqueurs de l'émission Al Djazairia Weekend
Chroniqueurs de l’émission Al Djazairia Weekend

Les réformes  » démocratiques  » engagées par les gouvernements successifs se sont parfois transformées en cadeaux empoisonnés tant pour le pouvoir que pour le peuple. Lorsque le président Chadli a voulu ouvrir l’Algérie au multipartisme, elle a connu le FIS (Front islamique du salut) et la décennie noire. En 2011, le gouvernement a décidé de privatiser partiellement le secteur télévisuel. Trois ans plus tard, la chaîne  » Atlas TV  » a été mystérieusement retirée de nos listes de chaînes, et aujourd’hui, une émission satirique  » El Djazairia Weekend  » a été arrêtée, à la « surprise » de ses animateurs comme de son public,après  » des pressions insoutenables » .

Il faut dire qu’avant l’apparition des chaînes privées, l’audimat algérien n’avait pas vraiment la possibilité de regarder des débats politiques puisque la seule place que les chaînes publiques réservent à la politique, c’est dans le JT (lorsqu’il s’agit de parler de la visite d’untel ou la déclaration d’un autre) et au moment de la présidentielle (séquences agrémentées de clips de chansons patriotiques tournés dans les années 70).

Encore pouvons- nous compter une émission telle que  » Houna el Djazair  » (ici l’Algérie) qui organise de manière hebdomadaire des confrontations politiques entre politiciens, membres de partis, activistes et journalistes. Bien entendu, il est rare de voir un ministre en fonction si ce n’est les cadres les plus stupides du FLN à l’exemple de Akila Rabhi, députée FLN qui ne s’est jamais cachée de son passé de coiffeuse-esthéticienne… peut- être sera-t-elle la digne héritière de Leila Trabelsi. Cette députée avait fait parler d’elle puisqu’elle est devenue la porte-parole de l’augmentation des salaires des parlementaires avec un salaire déjà fixé (officiellement) à 300 000 dinars soit un peu moins de 3 000 euros, et croyez-moi, en Algérie, c’est un très bon salaire. Mais la dame a justifié le besoin d’augmenter les salaires du fait qu’elle perdait 30 000 dinars en forfait téléphonique, parce que ses contacts  » ne faisaient que la bipper « . Elle n’a qu’à demander à son parti la prise en charge de son forfait si onéreux plutôt que de grignoter sur l’argent du contribuable qui à ce rythme, ne pourra ni appeler, ni  » bipper « .

Après l’arrêt de l’émission  » El Djazairia Weekend  » il ne nous reste donc plus qu’à écouter les dialogues sans fin et sans fond de certains caciques du régime. Pour information, l’émission récemment arrêtée était, de par son caractère satirique, un lieu d’expression qui  » irritait  » le pouvoir. Mais chez nous, le pouvoir réplique sévèrement dès les premières irritations, un peu comme la blague d’Abdelmalek Sellal, notre premier ministre qui pratique la satire d’une autre manière  » Les moustiques du printemps arabe ont voulu venir en Algérie, nous leur avons mis du Moubyd !  » (Spray anti-insectes).

Mais si le pouvoir a semblé garder le silence sur ses premières irritations, il a sévèrement réagi dès les débuts de l’éruption cutanée. Cette éruption cutanée ou volcanique pour certains de nos ministres a débuté avec la sortie du livre Paris-Alger : une histoire passionnelle  dans lequel les deux auteurs ont dévoilé de nombreuses informations quant aux avoirs français et non moins modestes de nombreux ministres en exercice ou non, et d’autres représentants politiques comme Amar Saidani, chef de file du FLN. Vous savez, l’ancien joueur de tambour qui est devenu chef du parti majoritaire… Te prends pas la tête Bourdieu, chez nous l’ascension ça commence au plus bas !

Vous ne serez pas étonné de savoir que ce livre est le  » 50 Nuances de Grey  » qui tourne en masse dans le pays, entre les proches qui les ramènent de France (soigneusement emballé dans du papier journal) ou d’autres qui ont pu le mettre en ligne afin de le rendre accessible à tous. Mais certains sont déjà déçus du contenu, alors qu’ils attendaient des éléments  » choc  » … peut être la fameuse réponse à la question  » Est-ce que Bouteflika est vraiment célibataire ? Et sinon, il est gay ?  » Mais ce n’est pas le thème du sujet, puisque le dernier à avoir abordé cette question a pu quelques années publier un livre-témoignage intitulé  Les geôles d’Alger. Autant vous dire qu’on ne badine pas avec les amours du président. On ne badine pas non plus avec les propriétés immobilières des ministres qui possèdent ainsi des résidences dans les quartiers chics parisiens des Champs Elysées au 5e arrondissement et qui ciblent des personnalités comme la fille du premier ministre, le ministre des Energies et des Mines ou encore l’ancien ministre aux Moudjahidines (ministère du 3e âge et des paiements de pensions si vous préférez) qui, avant une visite officielle de Nicolas Sarkozy avait appelé à boycotter la France… Ce même possède un appartement à Lyon, ainsi que, excusez du peu, une carte de résidence. Ce même personnage critique avec véhémence les harkis qui ont trahi le pays…

Mais au fond, qui trahit vraiment l’Algérie ?

Parmi les pressions politiques subies par l’équipe de cette émission, les appels personnels de certains ministres furieux que l’on dévoile un faste dont les citoyens sont en droit de demander la provenance financière. Encore plus furieux qu’on mette à nu l’illégalité dans laquelle ils sont, puisqu’il est interdit d’acheter des biens à l’étranger alors que les revenus proviennent d’Algérie . Ces mêmes, qui appellent les expatriés à rentrer au pays, aux Algériens à consommer local, ou à se serrer la ceinture suite à la chute des prix du pétrole.

Cette victoire temporaire du pouvoir sur la liberté d’expression quoique, encadrée par la bienveillance étatique, ne fait qu’alourdir le climat ambiant.

Le plan du ministre de la Communication Ahmed Grine commence peut-être à prendre forme, lui qui rêvait d’un  » journalisme sans cholestérol  » (oui, il a vraiment dit ça) , c’est-à- dire un journalisme neutre, mais qui ne critique pas le pouvoir. Les chroniqueurs d’El Djazairia Weekend ont préféré stopper l’émission plutôt que d’en revoir le contenu afin qu’il soit plus favorable au pouvoir.

Si Ahmed Grine connaît le peuple algérien, à moins qu’il n’ait lui aussi une carte de résidence française, il devrait savoir que l’Algérien, sans cholestérol, ce n’est pas viable.

 

 


Une histoire de legging…

algérienne_indépendance

En rentrant chez moi, je suis tombée sur ce reportage réalisé par la première web-tv algérienne  Dzair Web Tv intitulé : « La drague à l’algérienne : agression ou séduction? » Le titre est déjà assez révélateur, puisque nous, Algériens et Algériennes avons le monopole sur une technique de drague bien spéciale. Ayant vécu à Alger et vivant aujourd’hui en France, et pour avoir temporairement expérimenté la vie tunisoise, je peux effectivement confirmer que les Algériens ont une méthode assez originale pour vous séduire, même si je me suis déjà pris une main aux fesses à Montpellier, mais sans vouloir faire dans le Cuckierman ou Tesson… c’était un Arabe.

Ce reportage confronte ainsi les opinions de femmes et d’hommes algériens sur la drague. Pour ceux qui comprennent l’arabe (même si je traduirai les perles de certains) , vous comprendrez l’écart intellectuel entre les hommes et les femmes interviewés. Pour les hommes, les motivations de ce type de séducagression sont diverses : trouver la fameuse « fille de bonne famille » (si tes parents sont divorcés, c’est déjà la merde pour toi) , pour « passer le temps, parce qu’il n’y a pas de travail » (pour ne pas dire que son vrai passe-temps c’est de tenir le mur) ou pour certains, cette séducagression se transforme en victimisation de l’homme parce que « le legging, ça se fait pas… les filles de maintenant c’est ballerine, fuseau manteau » (le gars est en réalité un fétichiste des pieds qui ne supporte pas le décolleté sur les orteils des ballerines).

Du côté des femmes, cela se résume en trois choses : handicap, agacement, frustration. Alors, si pour certains, nous sommes les agresseuses et non pas eux, qui nous demandent nos numéros de téléphone, nous suivent parfois jusqu’à la maison, et pour les plus courageux, visitent furtivement nos courbes : venez nous voir chaque matin devant notre placard, notre miroir, ou dans les cabines d’essayage.

Etape 1 : Le placard à vêtements

Petit listing des vêtements à porter, à ne pas porter, ou à porter d’une certaine façon. (Bien entendu cela s’applique à une fille non voilée)

Le fameux legging Bien entendu, vous vous doutez bien qu’on ne portera pas le legging comme un pantalon, car cela donnerait l’impression que nous marchons fesses nues. Donc il faut généralement le prévoir avec une robe, ou un haut long jusqu’au bas des fesses.

– Le jean : Vous pouvez vous permettre un jean moulant, à condition qu’il ne laisse pas dévoiler vos hanches.

– Le jogging : On adore ! Surtout s’il est un peu ample. Vous pouvez le mettre absolument partout, de la maison jusqu’à vos sorties en centre-ville.

– La jupe : Attention, on touche un sujet sensible là. La portabilité de la jupe se mesure en fonction de sa longueur, si elle est longue jusqu’aux chevilles, vous pouvez y aller. Si elle se porte au niveau des genoux, elle est acceptable uniquement pour les femmes d’un certain âge (40 ans) ou pour certaines professions (employée de bureau, hôtesse de l’air, secrétaire, médecin…) . C’est tout pour la jupe, puisque la mini-jupe est une espèce en extinction depuis les années 80.

– Le short : Il n’y en a pas dans votre placard. Ou alors il sert « pour la maison », si vous avez un père assez ouvert d’esprit.

– Les hauts : Plus c’est long, mieux c’est ! En général, on préfèrera un t-shirt long qui descend aux fesses, même si le court (niveau hanches) est acceptable. Pour les manches, ça va du long au court… les bretelles ne sont pas acceptées, ou alors, c’est à vos risques et périls, et vous ne direz pas que je ne vous ai pas prévenu. Les bretelles servent généralement en tricot de peau… Sous un pull bien entendu. Enfin, pour ce qui est du col, évitez les cols V et autres décolletés surtout si vous avez une poitrine importante, mais dans tous les cas, les hommes arrivent à s’exciter sur un 75A. Pour les chemisiers, la limite autorisée est de 2 boutons en partant du haut.

Les robes : C’est un peu la même méthodologie qu’avec la jupe. La devise « Plus c’est long, mieux c’est » ou « Longer is better » s’applique également. Par chance, les robes longues sont redevenues à la mode ces deux dernières années, une aubaine tant pour les filles voilées que les non voilées. Pour les robes mi-mollet et genoux, c’est accepté encore pour les femmes d’un certain âge et d’un certain métier, à condition que la fente respecte la distance de sécurité. Pour les robes courtes, il y a jurisprudence. Si vous disposez de leggings (obligatoirement de couleur noire) vous pouvez les porter sous votre robe, à condition qu’elle descende au niveau des fesses. A éviter en été sous 40 degrés, le Noir , ça absorbe la chaleur.

Etape 2 : Le miroir

Bon, après avoir prié très fort Dieu pour être un garçon pendant au moins une journée, il est temps de ressembler un peu à une fille, puisque vous ne vivez pas que pour les hommes.

La coiffure:

En général, le choix de la coiffure dépend de la physionomie de votre visage. Si les cheveux attachés vous embellissent, alors lâchez-les, et vice versa. Pour les cheveux lâchés, c’est un peu plus délicat lorsque vous sortez de chez le coiffeur : plus de racines frisottantes, cheveux brillants, odeur de shampoing… bref, « sha3rek lisses » comme chantait Mazouni dans les années 80 : pour la petite histoire, la suite de ce refrain était « La police , la police ! Appelez la gendarmerie pour qu’ils l’emmènent loin de moi ». Ça vous donne une idée du changement des mentalités.

Le maquillage : 

« Reste NA-TOU-REL ma chérie » scanderait Cristina Cordula, celle que l’on aime regarder sur M6 dans « Les reines du shopping » , en voyant défiler les tenues avec cette petite voix intérieure « ça je peux pas, ça je peux pas, ça … ça passe ». Bannissez les rouges à lèvres flashy (sauf pour les mariages) , le baume incolore est votre nouvel ami. Idem pour le blush, évitez qu’il soit trop marqué sur votre peau. Dans tous les cas, votre mère aura déjà pris soin de l’atténuer en humidifiant son doigt avec sa salive avant de passer la porte de la maison. Pour le fond de teint (et c’est valable même hors de l’Algérie) , évitez l’effet masque, et les nuances plus claires ou plus foncées : vous vous ferez traiter soit d’anémique ou alors de basanée. Bien entendu, on oublie le maquillage pendant le mois du ramadan. 

 

Alors vous, jeunes hommes qui trouvez nos tenues trop agressives alors que nous les adaptons déjà à vos vices, cessez de rejeter toutes vos frustrations sur nos épaules. Le Code de la famille pèse déjà assez comme ça.

 

 


Pourquoi Tunis n’est pas Alger

tunis_démo

Voici maintenant deux semaines que le petit palmier a de nouveau posé ses valises dans le Sud, de retour d’un autre Sud, vous savez celui où l’on aime bien stocker les pauvres. Me voilà partie après un mois passé dans la capitale tunisienne, une capitale qui n’a fait que casser toutes les images que j’avais d’elle, souvent véhiculées par les documentaires Arte ou LCP qui, je peux vous le dire, sont un peu trop romancés. Dans ma naïveté et mon espoir d’un tournant démocratique pour les « printemps arabes », je me disais que Tunis était un peu « the place to be » au Maghreb, et dans le monde arabe.

Mais depuis mon arrivée, les Tunisiens que j’ai pu rencontrer m’ont stoppé net dans mon élan un peu Bernard-Henri Lévyste de la chose. D’ailleurs, les Mondotunisiens vous raconteront bien mieux que moi la réalité de leur pays, 4 ans après la révolution dont on « fêtait » l’anniversaire il y a peu. Pour moi, il était plus dans l’esprit « Bled Mickey » de comparer Alger à Tunis, que j’aurais presque envie d’appeler « Bled Minnie ».

Les mots du quotidien 

Tout le monde vous le dira, les Arabes sont frères, ils ont en commun une culture, une civilisation, une langue. Mais il faut admettre que cette devise ne s’applique pas tellement aux Algériens puisqu’avec le temps, nous avons créé notre propre arabe… que nous préférons appeler « l’Algérien » pour ne pas heurter les oreilles des arabophones littéraires. L’équation est la suivante: les Marocains et les Algériens se comprennent, tandis que nous comprenons les Tunisiens qui ne nous comprennent pas. Les Egyptiens nous comprennent, mais préfèrent se moquer, tandis qu’au Moyen-Orient, c’est une tout autre langue. Mais de manière générale, si les mots se prononcent différemment, ils gardent souvent la même racine. A Tunis, il n’y a plus de racine commune. Leur usage des mots du quotidien comparé au nôtre subit d’ailleurs des écarts assez flagrants.

Pour quelques exemples (et en guise de mini-guide touristique de Tunis) :

Maintenant : Tawa (tunisien) – Douka (algérien)

Là bas : Ghadi (tunisien) – El Temmak (algérien)

Beaucoup : Barcha (tunisien) – Bezzaf (algérien)

Autant vous dire qu’il vous faut une petite période d’adaptation avant de pouvoir vous payer un café au lait par exemple, qu’ils nomment « Direct »… pour des raisons inconnues des Tunisiens même.

Le vendredi 

vendredi

Bon, on le sait, le vendredi chez les Arabes… c’est sacré… un peu trop même.

En Algérie, le vendredi est férié, histoire que vous consacriez pleinement votre esprit… et votre estomac à ce jour pieux, et le couscous qui va avec. En Algérie, vous savez que c’est vendredi. Les rues sont vides, les magasins fermés et la télévision nationale retransmet la prière en direct. Vers 14 heures vous pourrez apercevoir les troupeaux de fidèles marchant vers leur demeure respective, vêtus d’une djellaba d’un blanc immaculé et tapis de prière sur l’épaule. A Tunis, mon premier vendredi était un jour de semaine comme un autre, à un détail près, avec les différents commerces qui s’alignent sur la même ligne religieuse : diffuser des cassettes de Coran juste avant la prière.

Sinon, la vie reprend son cours, quoique. La prière du vendredi en centre-ville à Tunis demande quelques capacités d’adaptation de la part des piétons qui doivent effectuer quelques détours pour ne pas déranger les fidèles agenouillés en masse sur les trottoirs (manque d’espace oblige) tandis que le métro (en vrai, c’est un tramway) passe dans la discrétion la plus absolue devant la mosquée, autant prévoir 5 minutes de retard si vous vous rendez en centre-ville à cette heure-là.

Les taxis 

taxis

Ici à Tunis, les taxis occupent une place prépondérante dans le paysage routier. Là où vous allez, vous ne pouvez manquer ces voitures jaunes qui se donnent un air de cabs new-yorkais. Il y a deux catégories de taxis dont l’humeur diffère selon leur position hiérarchique. Les taxis de l’aéroport savent très bien que vous avez besoin d’eux, surtout si vous n’êtes pas Tunisien, encore mieux si vous avez des euros. Car oui, lorsque vous arrivez à l’aéroport de Carthage, certains chauffeurs vous demanderaient presque en mariage du moment que vous leur payez la course en euros. Dommage pour eux, j’avais non seulement changé tout mon stock d’euros (un stock bien moindre comparé à celui de Ben Ali), mais j’étais accompagnée d’une Tunisienne pure souche. L’autre catégorie de taxi est celle qui circule normalement dans les rues de la ville, avec qui vous avez un peu plus de chance de ne pas vous faire arnaquer, à condition de parler arabe bien sûr. Même s’ils travaillent au compteur, il y aura toujours un taux d’intérêt variable selon votre identité tunisienne, arabe ou d’une autre nationalité. Mais l’importante différence à faire entre les chauffeurs tunisiens et algériens, c’est qu’ils sont réellement individuels et qu’ils vous emmènent là où vous devez aller.
En Algérie, prendre un taxi relève d’une vraie négociation, un peu comme celles qui se déroulent régulièrement à Alger sur la situation du Nord-Mali. La première étape est bien évidemment de réussir à attraper un taxi, en général ceux-ci ne vous calculent même pas, quand ils ne simulent pas une inattention de leur part style « wellah ma cheftek » (je te jure que je ne t’ai pas vu). La deuxième étape, c’est d’arriver à le convaincre de vous emmener là où vous devez aller, ou du moins de vous en rapprocher. Parce qu’à Alger, c’est le chauffeur qui décide où il vous emmène, pas vous. La troisième étape, c’est de vous trouver seul dans le taxi, car même si ces taxis prétendent être « individuels », cela fait bien longtemps qu’ils sont devenus aussi collectifs que les minibus. Et pour compliquer la chose, une fois le taxi bien rempli (quand vous n’êtes pas assise sur les genoux d’une inconnue dans le meilleur des cas) il y aura toujours une vieille dame avec quelques difficultés à marcher qui demandera au chauffeur de la ramener au pas de la porte. Vous l’aurez compris, ne prenez pas de taxi à Alger si vous n’avez pas de temps à tuer.

Le dosage de harissa 

harissa

Faut pas se mentir, la harissa en Tunisie, c’est sacré, presque plus que la prière du vendredi et la petite Celtia de fin de journée. Mieux vaut avoir un tube de harissa dans le frigo qu’un tube de dentifrice dans sa trousse de toilette. Nous, Algériens, sommes aussi dans un amour assez fraternel du « har », c’est-à-dire tout ce qui est piquant. Et n’importe quel Algérien vous dira que la harissa tunisienne ne donne pas autant de brûlures d’estomac que la harissa algérienne. Qu’importe l’endroit où vous irez manger sur le pouce à Tunis, il y a toujours un énorme saladier rempli de harissa, contrairement à la petite boîte de conserve de 150 g dans les fast-foods algériens. Gare à vous si vous oubliez de préciser au serveur « shouai harissa » (un peu d’harissa) ou que vous n’en voulez pas du tout, mais au vu de la moue systématique qu’ils vous font lorsque vous n’en voulez pas, mieux vaut en mettre un peu, histoire de respecter la coutume locale. Mais si jamais vous souffrez sur le moment de douleurs dentaires, ou d’un rhume, ne lésinez pas sur la quantité, la harissa a des propriétés anesthésiantes et décongestionnantes que vous ne soupçonnez même pas. En Algérie, et ce, d’après un témoignage véridique, certains enfants se faisaient punir par leurs parents qui leur mettaient une motte de harissa dans la bouche, pour aller ensuite saliver dans la baignoire pendant des heures. En Tunisie, je pense que cet acte relèverait de l’illégalité et d’un degré majeur de violence sur l’enfant.

Le métro 

tram

En Algérie, nous avons le métro depuis peu. Un métro dont la construction a mis plus de 30 ans pour une ligne unique de 15 km. A Tunis, ils ont le tram, mais ils l’appellent le métro. Et même si, malgré vos hallucinations « harissiques » , vous êtes foncièrement convaincu que ce tram ne va jamais sous terre, ne tentez même pas de leur dire que c’est un tram. Ils vous diront tout simplement qu’il n’y a pas de tramway en Tunisie. Sur ce point se trouve un certain écart entre le métro algérois et le métro tunisois. Le métro algérois, du fait de sa nouveauté, et de sa très faible capacité à vous emmener là où vous voulez (un peu comme le taxi) , est assez coûteux, dont le ticket est de 50 dinars, alors que le ticket de bus n’est que de 10 dinars. A Tunis, le métro (puisqu’il faut bien l’appeler comme ça)  ne se cache plus de sa popularité. Il est même trop populaire. Aux heures de points, les passagers font preuve d’une incroyable capacité de compression, au point que même des sardines seraient plus à l’aise.

Le président de la République

bajbouj

Dans ce domaine, on ne peut nier un combat de titans entre Boutef et « Bajbouj » qui n’est autre que Béji Caid Essebsi, nouveau président tunisien. A la seule différence que Bajbouj tient encore debout malgré ses 88 ans, quoiqu’on ne l’a plus revu depuis l’élection. Toujours est-il qu’à écouter les dires des Tunisiens, ce président qui s’est évaporé après son élection a peut-être été atteint du syndrome Bouteflika. A moins que ce dernier n’ait déjà fait appel au meilleur sorcier du pays, jaloux de voir que son homologue, plus âgé que lui, ait pu mettre un bulletin dans l’urne sans avoir besoin de fauteuil roulant. Mais dans cette potentielle et future rivalité entre ces deux présidents, le tout étant de savoir qui va enterrer l’autre; il faut avouer que Bajbouj est en tête des courses du fait de son originalité politique qui va bien au-delà de l’imagination bouteflikienne. Car dans son hypocrisie, Bouteflika nous fait croire qu’il dirige encore le pays sur ses 4 roues en apposant sa signature sur les différents décrets et communiqués qui pleuvent comme vache qui pisse en Algérie. A contrario, Bajbouj a fait, ce qu’aucun autre n’a fait avant lui, nommer un ministre représentatif de sa personne, un peu comme Saddam Hussein avait des sosies pour éviter qu’on tue le bon Saddam. Un ministre représentatif âgé de 87 ans, en sachant que Béji en a 88, et Boutef 77 ans.

Qui sera le premier à quitter l’aventure?

L’Algérie 

Un peu étrange de comparer l’Algérie entre Tunis et Alger, mais en ma bonne qualité d’Algérienne, j’aime m’auto-jeter des fleurs en tous genres. Le rapport à l’Algérie et plus particulièrement aux Algériens est une des choses qui m’a le plus frappée à mon court passage à Tunis. En général, un Algérien n’arrive jamais à se défaire de son accent qui mélange arabe moyen et français retravaillé pour ne pas dire fracassé. De fait, la première question qu’un Tunisien vous posera c’est « vous êtes marocaine »…En connaissant la nature des relations très « passionnées » entre Marocains et Algériens, vous comprendrez bien que cette question est davantage une petite provocation de la part de votre interlocuteur, généralement friand des Unes de Jeune Afrique qui traitent de la guéguerre interminable entre le Maroc et l’Algérie. Mais à peine après avoir rétorqué que j’étais Algérienne, c’était comme si j’avais droit à tout le packaging de réductions jeunes,seniors, chômeurs, handicapés. Les Tunisiens (ou du moins une grande partie) adorent les Algériens, ils adorent son président même sur un fauteuil, mais ils regrettent pour la plupart « que nos jeunes soient trop fainéants ».

Pourquoi cette comparaison avec Alger. Parce qu’à Alger, et en Algérie plus largement, les Algériens aiment… les Algériens si ce n’est leur propre personne uniquement. Quoique je n’ai jamais pu assister à une discussion entre un Algérien et un Tunisien pour déterminer le taux d’amour que nous leur dédions. Mais dans le fond, l’Algérien a la sale tendance à se méfier de tout ce qui est arabe, ce qui s’entend d’ailleurs dans nos insultes « ya rassa » (sale race) : hors de question de traiter avec un Marocain, ni même un Egyptien, tandis que nous voyons les Libyens comme des bédouins tribaux, et les Tunisiens, disons que ce sont « les moins pires ». Excusez notre ego.

Le style vestimentaire 

style

Il était nécessaire de conclure ce billet par ce chapitre. Les Tunisiens sont pour le Maghreb, ce que les Italiens sont à l’Europe en matière de « sape ». Du moins pour la catégorie d’âge des 40-90 ans. Etant donné que nous avons déjà perdu la femme maghrébine entre les fashion-weeks séoudiennes d’un côté et européennes de l’autre, les hommes tunisiens sont ceux qui se sont le mieux approprié l’équilibre entre moderne et traditionnel. En hiver, le look se tourne plutôt vers le manteau long en laine (beige ou foncé) et le petit béret en laine , tandis que d’autres préfèrent le look costard et kabous (chapeau traditionnel en laine rouge)… et ceux-là, ont définitivement tout compris au swag.

En Algérie, disons que ça fonctionne plutôt en matière de ce qui est le plus clinquant. Depuis quelques années la tendance s’est tournée vers les chemises brillantes dont j’ignore encore la matière et son taux de combustibilité, ou encore les chemises qui laissent toujours entrevoir (entrevoir est un faible mot) le relief d’un « marcel « neuf ans d’âge. Pour les plus traditionnels, ou les radicaux, la djellaba est bien entendu le vêtement imparable, accompagné d’un pantalon (même si la djellaba descend aux chevilles) ou d’un jogging, traversé par des chaussettes blanches montantes jusqu’au mollet.

On se consolera avec le foot.


Jusqu’à quel point peut-on aimer le prophète Mohammed ?

marche alger

« Kouachi chouhada , kouachi chouhada… » refrain qui résonne ce soir à travers mes enceintes que je ne vais pas tarder à balancer par la fenêtre. C’est aussi le refrain qui a été chanté avec ferveur dans les rues d’Alger ce vendredi, alors que de nombreux pays musulmans ont été le théâtre de manifestations contre la nouvelle Une de Charlie Hebdo, où le prophète Mahomet portant une pancarte « Je suis Charlie », pardonne tout.

Dans ce refrain, un paradoxe subsiste entre cette phrase qui signifie « Kouachi, martyrs » et le rythme qu’il me semble avoir déjà entendu lors de défilés de supporters algériens. Mais j’imagine que ça fonctionne un peu comme le rap, il y a certaines instrus ne vieillissent jamais.

Si dire « Je ne suis pas Charlie » reste une phrase au sens parfois mal compris, elle ne fait pas nécessairement l’apologie du terrorisme. En revanche, scander le nom de Kouachi, en élevant les deux frères au rang de martyrs… ne relève pas vraiment d’une ambiguïté de sens.

Avons-nous vécu pendant ces 10 dernières années dans l’illusion ? Pensant que le terrorisme en Algérie s’essoufflait, au profit de la concorde civile qui, comme nous le voyons aujourd’hui, n’a pas apporté la paix sociale qu’elle promettait.

Dans un pays où les manifestations sont souvent réprimées de manière sévère, voir un rassemblement de 3 000 personnes, cela étonne. Mais cela effraie aussi. Alors que le même jour, au même endroit, au même moment; des manifestants contre le gaz de schiste se faisaient jeter dans des fourgons de police. Voilà le sens des priorités en Algérie. Caresser les islamistes dans le sens du poil de la barbe en espérant qu’ils n’auront pas de revendications plus politiques. Une erreur déjà commise auparavant.

Cet évènement, même si l’on peut penser qu’il s’étouffera en même temps que l’esprit contestataire jetable de ses manifestants; porte un sentiment d’effroi qui n’avait pas été ressenti depuis plusieurs années. Non pas parce qu’il s’agit d’une marche religieuse, ou parce que les barbes de certains méritent un sérieux de ciseaux. Mais surtout à cause de cet autre refrain qui a été scandé pendant la manifestation.

« Pour elle nous vivons, pour elle nous mourrons et pour elle nous nous battons »

« Elle », ce n’est pas la religion de l’islam, ni Mohammed vu que c’est un homme (est-ce que je blasphème ?). « Elle », c’est la République islamique, vous savez celle pour qui des « musulmans » ont tué d’autres musulmans pendant les années 90. C’est aussi un chant sinistrement familier, puisqu’il était fièrement entonné dans les rues du pays durant cette même période. Les dernières images de la vidéo ci-dessus ravivent non seulement une mémoire macabre de nombreux Algériens, mais aussi une angoisse indescriptible. Celle de voir se reproduire une nouvelle décennie noire, si ce n’est pire.

En France et ailleurs, des milliers de personnes, personnalités politiques et médias ont appelé à ne pas faire l’amalgame entre islamistes et musulmans (excepté Fox News). En Algérie, ce n’est même plus de l’amalgame, mais une confusion anarchique et incohérente (et je pourrais continuer dans le pléonasme) entre liberté d’expression, fanatisme religieux et apologie du terrorisme… tout ça au nom de Mahomet et d’Allah… Un peu comme la jolie boîte Happy Meal qui rattrape le jouet pourri dont vous ne vouliez pas quand vous étiez gosse.

« Nous sommes tous Mohammed… » Les manifestants du 16 janvier 2014 rejettent radicalement (à tous les niveaux) la Une de Charlie Hebdo, l’hebdomadaire, et ses dessinateurs qu’ils soient morts ou vivants. Et, ils n’ont pas manqué de reproduire avec une quasi-perfection, le même mouvement de foule qui s’était produit en faveur du journal satirique. Mais une question reste encore sans réponse… Si l’on manifeste contre l’acte blasphématoire de représenter le prophète, n’est-il pas tout autant blasphématoire de s’assimiler à lui en clamant « Nous sommes tous Mohammed » ?

Mais de manière générale, les Algériens s’interpellent souvent par « Ya Moh » (eh moh ! ) ou « Ya Si Mohammed » (monsieur) quand ils ne connaissent par le prénom de l’autre. Ceci explique peut-être cela.

C’est après la prière du vendredi que les manifestants ont défilé dans les rues du centre-ville pour rejeter la nouvelle Une de Charlie Hebdo, déclarer leur fidélité au prophète, demander à ce que Daesh soit importé chez eux comme s’il s’agissait du dernier modèle Audi, rappeler que les frères Kouachi sont des martyrs et qu’implicitement les journalistes morts « l’avaient bien cherché »; et pour finir rappeler que le conflit israélo-palestinien, « c’est pas bien » !

Plus sérieusement, rendez-vous compte du sacrifice pour ces personnes d’aller manifester juste après la prière du vendredi. Habituellement, l’Algérien attend avec impatience la fin du prêche, vers 14 heures, pour pouvoir rentrer à la maison, bomber le torse devant la famille qui l’attend pour déjeuner et se faire servir le couscous en premier, en bon pater familias qu’il est. Il est donc compréhensible que ces manifestants aient mélangé tous les messages lors de cette manifestation : question d’économie.

La communauté musulmane (sans vouloir généraliser) avait l’opportunité de montrer la liberté d’expression dans les deux sens. Dénoncer un dessin considéré comme blessant sans cautionner le meurtre et le terrorisme. Mais l’heure était plutôt à la haine dans les rues d’Alger.

Fidèle à cette devise algérienne « Mieux vaut en rire qu’en pleurer », je trouve tout de même un peu de réconfort à voir que des caricatures de l’islam manifestaient contre une caricature du prophète. Charb , Cabu , Wolinsky et Tignous n’auraient-ils pas envoyé une nouvelle blague de l’au-delà ?


Après Bébé Doc, Pépé Boutef !

pépéboutefL’Aid est fini. Nous voilà bien repus de ce weekend sanguinolant, des abats à foison et des indigestions nocturnes. Cette année, ma page Facebook a été envahie de photographies et de vidéos qui traduisent l’épopée « moutonesque ». Entre mouton suicidaire qui tente de se jeter d’un balcon ou un autre qui n’avait plus rien à perdre et préférait mourir sur une autoroute que de finir dans l’assiette des Algériens.

Une chose est sûre, c’est que cette année, les moutons auront été de meilleurs révolutionnaires que nous. Ou c’est peut être que nous qui sommes devenus des moutons.

Après la réélection de Bouteflika à un 4ème mandat, ce dernier avait probablement exprimé sa joie en faisant des salto-arrières sur ses 4 roues. Mais Pépé Boutef ne nous a pas fait profiter de sa joie puisqu’on ne l’a plus revu depuis …depuis quand déjà?

En tout cas, le grabataire n’était point présent  lors de la cérémonie de l’Aid, à la grande « surprise » des médias. Peut être que la mosquée ne disposait pas de structures adaptées aux  handicapés, ou que la viande de mouton n’a pas suffit à lui donner le taux de fer dont il avait besoin. Dans ce cas, c’est un cheval qu’il aurait fallu égorger, peut être celui qu’il a offert à Mr Hollande tiens !

Même si nous n’avons pas pu jouir du petit minois moustachu du président à la cérémonie religieuse, sachez le, Pépé Boutef sera toujours là.

Mais alors que de nombreux musulmans sacrifiaient la bête, Jean-Claude Duvalier,ancien président à vie ou dictateur haitien décéde tandis qu’une certaine partie de son peuple rêvait probablement de le voir à la place du mouton. Alors que peu de gens ont pleuré la mort de Bébé Doc, allons nous pleurer la mort de Pépé Boutef?

Pour l’heure, le gouvernement algérien tient à ce que ça soit le cas, en organisant une « grande exposition » à l’effigie du président (encore vivant), à l’occasion d’une date pas banale. Le 60ème anniversaire du déclenchement de la révolution algérienne.

(Petite entracte le temps que j’aille libérer mes entrailles) 

Comment un 60ème anniversaire, anniversaire clé d’une date clé ayant marqué l’Algérie puisqu’elle a fait de ses hommes des hommes libres; peut-être célébré de la sorte?

Un évènement qui pourrait être célébré de multiples façons en rendant d’abord hommage aux hommes et aux femmes qui ont permis ce 60 ème anniversaire. A la place, nous voilà affublés de ce culte de la personnalité presque pornographique par son exhibitionnisme, d’un président qui s’est décrédibilisé dans un premier temps en tant que politique (avec la modification de la Constitution pour les mandats illimités) puis dans un deuxième temps, en tant qu’homme tout court.

Nous Algériens, continuons notre longue traversée en Absurdie, où l’on fait l’éloge d’un homme qui n’a jamais touché une arme de sa vie, ni même foulé la terre maquisarde.

Comme si nous ne le voyions pas assez dans le hall de l’aéroport ou dans les manuels scolaires, il ne manquerait plus qu’on affiche son portrait sur les packs de lait.Surtout que l’intolérance au lactose est très handicapante. Sans mauvais jeu de mot.

Bouteflika, alors qu’il savait encore aligner plus de 2 mots à la secondes avait fait part d’une blague qu’on lui avait racontée à un journaliste. Simple plaisanterie ou auto-dérision? La seconde semble plus appropriée.

Un citoyen lui avait apparemment demandé de mettre une devise religieuse sur le drapeau algérien, à l’image des drapeaux irakien et saoudien. Bouteflika ne sachant quoi lui proposer, le citoyen lui répond alors « Allah Ghaleb » . Pour traduction « C’est dommage, mais c’est comme ça ».

Bouteflika en plaisantait, mais il ignore peut être qu’il est l’archétype même de cette devise.