Le dernier clip de campagne de Bouteflika : décortiquer le vrai du faux

16 avril 2014

Le dernier clip de campagne de Bouteflika : décortiquer le vrai du faux

Plus qu’un jour avant l’élection présidentielle algérienne. Je pourrais vous parler des derniers évènements qui ont secoué le pays à la veille de cet événement très attendu dont de nombreux Algériens connaissent déjà le résultat. Mais je ne le ferai pas, car comme les jours qui précèdent le baccalauréat, mieux vaut se reposer qu’avoir la tête dans les livres de cours.

Comme la direction de campagne de Bouteflika a lu dans mes pensées, elle a publié le 15 avril son dernier spot de soutien (puisque la campagne électorale est désormais terminée). Le dernier court métrage de soutien à Bouteflika « Notre serment »,  tourné comme un « We are the World » version morbide avait provoqué un immense tollé auprès de l’opinion publique, amenant de nombreux artistes à justifier leur participation à ce clip.

L’équipe de campagne de Bouteflika a quand même le mérite de retenir de ses erreurs, en diffusant ce nouveau clip « Avec toi tous unis » sentimental à souhait et aussi mielleux que nos pâtisseries traditionnelles.

D’un premier abord, le clip présente différentes séquences censées représenter les différents acteurs de la société algérienne. Le pêcheur qui retrouve sa famille, le père expliquant le terrorisme à son enfant, la jeune fille de la Casbah qui va travailler et tant d’autres. Mais ne nous égarons pas, car je compte bien rectifier ce clip à la minute près pour ne pas laisser croire à certains que le bilan de Bouteflika consiste à aller joyeusement pêcher la sardine au large méditerranéen ou à aller regarder un match dans le café du coin.

0: 00 à 0: 32 : Le pêcheur 

Début du clip, un jeune homme, vêtu d’un sweat et d’une casquette sur une barque au large. Naïvement, j’ai anticipé sur la suite de la scène pensant qu’il s’agirait d’un « harraga » qui déciderait d’abandonner sa barque pour retourner vers sa terre natale… grâce à qui ? A Bouteflika bien sûr ! Malheureusement, je n’ai aucun talent prémonitoire puisqu’il s’agit simplement d’un pêcheur. Ne m’en voulez pas, mais vous aurez plus de chance de trouver « harraga » que « pêcheur » au duo « barque » et « algérien ». Après une pêche plutôt correcte, le pêcheur retrouve sa femme et son enfant et s’en va gaiement vers sa routine quotidienne.

0: 32 à 1: 03 : Coup de foudre dans les embouteillages 

Nous voilà maintenant dans les rues d’Alger centre reconnaissable à ses bâtisses historiques de style haussmannien. Un conducteur, stressé par les embouteillages ne cesse de klaxonner. Jusqu’ici, tout est normal, les Algériens étant connus pour figurer parmi les pires conducteurs du globe. Tout d’un coup, une autre voiture arrive avec plusieurs personnes dont deux femmes voilées assises à l’avant, joyeuses, tapant des mains et dansant. PAUSE. En Algérie, les femmes voilées sont bien connues pour être des conductrices assez particulières. Dans la vraie vie  la conductrice aurait déjà éraflé la voiture du monsieur, et celui-ci serait sorti furieux de sa voiture en insultant la dame et en attaquant tout son patrimoine généalogique. A la fin, ces deux sourient et se font même un petit « coucou ». Si seulement les trajets en voiture pouvaient être comme ça dans la vraie vie !

1: 04 à 1: 48 : Wonder Woman de la Casbah 

Cette séquence peut sembler montrer l’émancipation professionnelle de la femme, à travers la jeune femme qui quitte la maison familiale de la Casbah pour aller se rendre à son lieu de travail. J’ai quand même noté deux éléments assez furtifs, mais qui font partie du discours même de Bouteflika quant à son bilan présidentiel. Le premier élément est le zoom sur le fusil accroché au mur. Fusil, guerre, guerre d’Algérie. Un événement ancré dans toutes les mémoires, transmis de générations en génération et qu’on aime bien ressortir à toutes les sauces. Tous mes respects aux moudjahidines, afin de ne pas oublier que sans nos aînés, nous serions peut être encore sous le joug colonialiste. Et Bouteflika fait partie de cette génération d’aînés.

Deuxième élément ; lorsque la jeune femme marche dans la rue on a droit à la petite vue sur « le tramouay » , le fameux, qui est une réalisation de l’ère Bouteflikienne. Même si cette ère n’a pas encore touché à sa fin.

1: 48 à 2: 11 : Le spectre du terrorisme 

Un enfant et son père. Duo attendrissant. Le père protecteur qui retient son fils alors qu’il allait traverser sans regarder. Bonne initiative en  connaissant les conducteurs algériens. Les deux se promènent lorsqu’ils passent devant un écran de TV diffusant des images de la crise syrienne. L’enfant semble apeuré face à ce massacre, puis son père le rassure , avant que l’enfant retrouve le sourire. On peut aisément deviner les dires de son père « Ne t’inquiètes pas mon fils, l’Algérie est un pays stable maintenant, le pire est derrière nous ». Heureusement que son fils n’a pas lu les journaux dernièrement pour découvrir les émeutes destructrices de Ghardaïa, dans son pays.

2 :11 à 2 : 34: Le barbu trop bien intégré 

La dernière séquence est censée refléter l’une des oeuvres les plus importantes du président et celle qui a le plus marqué le peuple algérien. La concorde civile ou la Charte de la réconciliation nationale. Celle-ci a consisté à réconcilier en quelque sorte le peuple algérien avec les anciens terroristes en leur offrant l’amnistie sous la condition unique de la repentance. Cette « réconciliation » est ici illustrée par un musulman (et je ne dirai pas islamiste) vêtu de la gandoura. Il est très rabaissant de penser que les terroristes sont tous vêtus de la sorte, ou qu’à contrario tous les hommes vêtus de cette manière seraient des islamistes fanatiques complètement marginalisés de la société civile. Ce qui n’est réellement pas le cas en Algérie.

Enfin, le clip se termine sur une courte séquence du président entouré d’enfants (parce que c’est plus mignon) avec le slogan « Pour la paix et la stabilité de notre pays ». Tout est dit, voici les deux arguments phares du président : Paix et Stabilité, à travers la réconciliation nationale, la modernisation du pays la sécurisation du territoire et j’en passe. Les communicants auront omis de signaler les différents scandales financiers qui ont ébranlé la sphère politique ou encore les dernières émeutes à Ghardaïa qui remettent en cause ladite « stabilité » du pays.

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Commentaires

eli
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Avec une propagande bien huilée,une campagne à l'américaine sans lui,une police aux ordres tout est calé pour passer sans difficulté la formalité de l'élection.Mais reste à savoir s'il pourra tenir pendant 5 ans au pouvoir..