Révolution, exil et élucubrations algériennes.

1 novembre 2013

Révolution, exil et élucubrations algériennes.

De Montpellier à Beyrouth , deux blogueurs ont décidé de faire un petit arrêt à Alger à l’occasion du 1er novembre. Expérience de coé-criture avec Missiou.A , rédacteur pour « Algérie d’ici et de là-bas » .

Pour cet article, je prends la place de votre palmier tripolitain préféré, mais je vous promets qu’elle va bien et qu’elle sera très vite de retour. Elle est juste partie à la chasse aux bonbons pour Halloween. Dans le pays dans lequel elle a choisi de vivre, le 1er novembre est celui de la Toussaint, fête religieuse. À la même époque, cela faisait plus de 80 ans qu’ils occupaient l’Algérie, cette colonie de peuplement, cette Algérie française. Nous sommes aujourd’hui en 2013, et l’Algérie n’est qu’algérienne, seulement algérienne, République démocratique et populaire à l’occasion. À la faveur de la sélectivité de la mémoire, de l’amnésie collective, la France a décidé d’oublier la période 1954 – 1962. Ensuite, à la faveur de la force des mots, de l’agilité de la plume et de l’élégance de la rhétorique, les « événements » ont commencé à être reconnus à demi-mot. Des événements, puis une guerre, une révolution.

Un certain 1er Novembre n’est pourtant pas étranger à la France. Il ne s’agissait pas de n’importe quelle Toussaint, mais d’une Toussaint rouge, rouge sang. Pour nous, elle constitue les prémices du commencement, un commencement qui semble-t-il, dure jusqu’à aujourd’hui. Début de la glorieuse révolution nationale pour les uns, tragique Toussaint rouge pour les autres ; les mots trahissent la perception. Toujours est-il qu’il y a 59 ans, des hommes ont décidé qu’il était temps de marcher vers la liberté. Sans eux, je ne sais pas si je serais en train d’écrire ses lignes en tant qu’Algérien… Mais attends, tu es là toi ?

 “Votre correspondant est injoignable pour le moment , veuillez réessayer ultérieurement”

 – Oui , je suis bien là , je suis là depuis 93 alors que les bombes flagellaient le sol algérien. Je ne suis pas allée demander des bonbons aux voisins aujourd’hui, mais je garde un souvenir commun d’Halloween et du 1er novembre à Alger. C’était le 31 octobre 2004 à minuit, on fêtait le quarantième anniversaire du déclenchement de la guerre. Je me souviens encore de cette nuit où un gigantesque feu d’artifice scintillait dans le ciel étoilé pour plonger dans la baie d’Alger. Je tentais de cacher mon émotion sous mon masque de squelette, car pour la première fois, je comprenais le sens du 1er Novembre et j’en étais fière. Pour une fois j’étais contente de ressentir ça du fond de mes tripes et non pas par ma raison endoctrinée par les leçons d’histoire en tout genre et les conférences organisées dans mon école où on écoutait pendant des heures les récits souvent nombrilistes de certains moudjahidines.

Pour la première fois aussi, je suis triste de ne pas pouvoir être là cette année , tout comme les deux années précédentes. J’ai lu dans un article que la Grande Poste d’Alger allait être le support d’une projection géante à l’occasion du 1er Novembre. Le combat de nos aînés sera montré aux yeux des plus jeunes, qui ont peut-être déjà oublié la signification de cette date. Tu en penses quoi toi ?

 – Je me souviens aussi de ces récits de moudjahidines qui étaient tellement mal en point qu’ils arrivaient à peine à aligner trois mots sans que je ne m’inquiète d’une éventuelle crise cardiaque. Par contre, je ne pense pas que les jeunes aient oublié tout ce que le 1er Novembre revêt en termes de symbolique, de puissance, d’aura. Nous vivons dans l’ombre de ces hommes, de ces femmes dont nous connaissons l’histoire par cœur. C’est le drame de notre génération : trop jeune pour avoir vécu cette période, mais trop vieille pour se permettre le luxe d’oublier. Un film en pleine Grande Poste, ça claque n’empêche. Je me demande bien si les Algérois seront au rendez-vous. Mon corps n’est pas à Alger, mais ma tête et mon cœur y seront. Je ne peux même pas mettre de mots sur la déception de ne pas être là-bas, de ne pas pouvoir prendre un taxi en catastrophe d’El Biar pour y retrouver les amis, de ne pas arriver 30 minutes en retard pensant que ça a déjà commencé pour ensuite réaliser que la séance a elle-même une heure de retard parce que personne n’a pensé à amener le lecteur DVD pour projeter ledit film. Bled Mickey, mais Bladi (mon pays). Tu crois qu’il y aura du Pop Corn et du Hamoud ?

 

– Tu as perdu la tête ? En temps de patriotisme , le Pop Corn c’est trop occidental voyons ! Je pense plutôt que l’événement sera l’occasion pour les vendeurs de kewkew (cacahuètes) de se lancer dans la vente mobile et la propagation massive de tuberculose (c’est une vieille excuse que me donnaient mes parents pour ne pas manger les cacahuètes de dehors).  Ça me fait penser aux lanceurs de cacahuètes dans les matchs de baseball …merde, c’est américain ça aussi !

Par contre pour Hamoud Boualem (boisson gazeuse), je ne doute pas un seul instant de leur sponsoring comme à chaque évènement populaire. Le Selecto, c’est le terroir algérien !

Je me demande aussi comment sera l’ambiance, j’ai l’impression que parfois , trop d’euphorie donne lieu à la violence , un peu comme dans les matchs de football ou les queues pour les concerts de Gnawa Diffusion. Et les filles, tu penses qu’on les laissera tranquilles pour une fois ?

 

– Oh tu sais, quand on y pense, ce jour, en quelque sorte, c’est la célébration de la violence. C’est la violence qui a permis le déclenchement de cette guerre, la guerre est violente.

J’avoue que le Pop Corn, c’est trop américain, rien ne vaut le kewkew et la zariaa (je ne sais même pas comment on pourrait qualifier cela). Pour la question des filles, c’est juste que vous ne comprenez pas notre manière de vous faire la cour. On vous aime beaucoup au fond, mais disons que nous devons concilier notre virilité, notre sensibilité et notre (relative) islamité. Et ce n’est pas facile tous les jou. Vous au moins, vous avez Dziriet (magazine féminin) pour vous apprendre à « accorder le khôl avec le voile multicolore et le jean Slim ». Nous, Dziri nous apprend à mettre des costards. Mais bon, d’accord, en ce jour de 1er Novembre, je tiens à te présenter mes excuses, au nom de tous les garçons qui te font parfois la misère à toi et à toutes les Algériennes. Ça y est, on peut faire la paix ?

 – La zariaa , c’est la graine de courge , je me sens toujours dégueulasse à devoir mâcher ça puis recracher la coquille pour ne garder que la minuscule graine. En fait, je crois que c’est ça le fait de vivre en Algérie de nos jours, on essaie d’oublier tout ce qu’il y a de mauvais pour ne garder que le meilleur  même s’il y a souvent plus de mauvais que de bon, comme avec la zariaa. Pareil pour les garçons, je ne sais pas vraiment si nous somme en guerre ou en paix. Parfois, certains me suivent juste pour faire les malins devant leurs copains ou pour expérimenter leur nouvelle technique de drague. Mais à d’autre moments, j’ai l’impression dans le regard de certains que je suis de “trop” comme si la femme venait d’arriver sur Terre. Et pourtant , le 1er Novembre a vu des hommes et des femmes combattre main dans la main pour leur liberté. Qu’en est-il réellement aujourd’hui’?

 – Qu’en est-il aujourd’hui ? Je ne sais pas trop. Je pense qu’ils se cherchent en essayant de concilier l’éducation religieuse rigoriste qu’ils reçoivent à l’école avec des pulsions naturelles. La frustration de vouloir, mais ne pas réussir à avoir je suppose. Les filles aussi sont pas mal à ce niveau. Je ne pense pas que les femmes ayant fait le 1er Novembre se baladaient avec des jeans Slims et des voiles multicolores en même temps, voile qui soit dit en passant s’envole comme par magie dans la voiture du petit ami ou à l’étage d’un salon de thé relativement chic. D’ailleurs, ça me manque ces déjeuners entre amis qui commencent à 14 heures et se finissent à l’heure du dîner. Pas toi ?

 – Oui , ce genre de repas où au détour d’un regard, on peut apercevoir une “personnalité “ politique entrain de siroter un Perrier alors qu’on se commande la bouteille en verre de “Selecto” pour soutenir l’économie du pays (même si je préfère son goût à celui du Coca-Cola) . Cela m’en donnait des nausées. En même temps ce genre de lieux est aussi un exutoire. Et, une fois assis dans les fauteuils de cuir déjà abîmés, on était ailleurs. Nos inquiétudes disparaissaient le temps d’une gorgée de limonade à la pomme. Ici , les femmes ont déjà sorti les paquets de Marlboro et retiré le premier bouton de la chemise , tandis que les hommes sont admiratifs de ces femmes “émancipées”. Mais une fois sorties , on sait très bien que l’écharpe a recouvert le cou nu et le décolleté plongeant de  certaines. On est vraiment un pays aux deux extrêmes ! Il serait temps de trouver le juste milieu à tout ça . Ou on continuera dans notre errance identitaire.

 

Alors , le blogueur de l’Algérie d’ici et de là-bas, que vois-tu de là où tu es ?

 – Je ne suis pas sûr que l’errance identitaire soit une mauvaise chose. Elle est une étape nécessaire dans la quête de son identité, d’une identité collective. C’est beaucoup demander à un pays d’asseoir une identité après à peine cinquante années d’existence. Quand je pense que c’était chose réglée pour certaines nations et que pourtant, aujourd’hui encore, ça continue de taper sur les Roms et les étrangers pour se soulager, je me dis qu’on fait mieux de prendre notre temps, tout notre temps. Koul outla fiha kheir ! (chaque pause apporte son lot de joie)  N’est-cepas. Là où je suis, l’identité collective n’existe pas, c’est la coexistence des identités communautaires qui prévaut, mais là n’est pas le sujet. Il a fallu 132 ans pour se défaire de l’ennemi extérieur qui est devenuun ennemi intime. Peut-être qu’il en faut 132 autres pour en finir avec le conflit intérieur ? Qui sait.

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